Le secteur automobile français traverse une période de turbulences sans précédent. Alors que les immatriculations de véhicules neufs étaient auparavant un indicateur de bonne santé économique, la tendance s'est inversée de manière spectaculaire. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : en mai 2025, le marché automobile français a enregistré une baisse de 12,3 pour cent, avec seulement 123 919 voitures immatriculations réalisées. Sur les cinq premiers mois de l'année, la chute atteint 8,2 pour cent. Ces données illustrent une crise profonde qui affecte l'ensemble de la chaîne de valeur, des constructeurs aux concessionnaires, en passant par les équipementiers.
Les facteurs économiques et réglementaires qui expliquent la baisse des immatriculations
L'inflation et la diminution du pouvoir d'achat freinent les investissements automobiles
La conjoncture économique actuelle pèse lourdement sur les décisions d'achat des Français. Le budget moyen que les automobilistes estiment pouvoir consacrer à leur véhicule est tombé à 238 euros par mois en 2025, alors qu'il s'élevait encore à 360 euros en 2024. Cette diminution drastique reflète une érosion du pouvoir d'achat causée par une inflation persistante. Les incertitudes économiques générales dissuadent les consommateurs d'investir dans l'acquisition d'une voiture neuve, d'autant plus que les prix des véhicules ont explosé. Entre 2000 et 2020, les tarifs du neuf augmentaient déjà deux fois plus vite que l'inflation, et aujourd'hui, un véhicule d'entrée de gamme coûte environ 20 000 euros. Ce niveau de prix exclut de fait une partie importante de la population du marché automobile.
Les conséquences de cette situation sont visibles dans les comportements d'achat. La durée moyenne de détention d'une voiture est passée de cinq à sept ans, ce qui traduit une volonté de différer l'achat d'un véhicule neuf aussi longtemps que possible. Par ailleurs, 80 pour cent des automobilistes privilégient désormais l'achat de voitures d'occasion, soit une augmentation de six points en un an. Cette tendance accentue la pression sur le marché du neuf, dont les ventes devraient plafonner entre 1,5 et 1,6 million de voitures neuves en 2025, contre 2,1 millions avant 2020. Les concessionnaires ont vu leur nombre de clients divisé par deux en dix ans, et certains agents ont vu leurs ventes annuelles de véhicules neufs passer de 110 unités à seulement 40, avec des commissions qui ont chuté de 80 000 euros à 20 000 euros.
Les nouvelles normes environnementales et les restrictions urbaines modifient les comportements d'achat
Les nouvelles réglementations environnementales transforment en profondeur le paysage automobile français. Les restrictions de circulation dans certaines zones urbaines encouragent les acheteurs potentiels à reporter leur investissement ou à se tourner vers des alternatives. La transition vers les véhicules électriques, bien qu'elle soit nécessaire, bouleverse les habitudes de consommation et génère des incertitudes. En mai 2025, les voitures 100 pour cent électriques représentaient 17,8 pour cent des ventes, un chiffre en recul de 19 pour cent par rapport au mois précédent. La direction générale des entreprises estime qu'au moins 40 000 emplois sont menacés à terme par le passage à l'électrique.
Le marché se réorganise autour de nouvelles motorisations. Les voitures hybrides non rechargeables dominent désormais avec 44,9 pour cent des immatriculations, tandis que les véhicules essence ne représentent plus que 23,4 pour cent des ventes. Les motorisations diesel, autrefois dominantes, ne comptent plus que pour 4,7 pour cent des immatriculations. Cette redistribution des cartes crée des gagnants et des perdants. La Citroën ë-C3 s'est imposée en tête des ventes de voitures électriques en mai 2025 avec 1 500 exemplaires, tandis que des modèles traditionnels comme la Renault Clio conservent leur leadership avec 42 671 exemplaires tous types d'énergie confondus. La Peugeot 208 arrive en deuxième position avec 32 907 unités, suivie de la Dacia Sandero avec 28 440 exemplaires.
Les défaillances industrielles et logistiques qui amplifient la crise du secteur
La pénurie de semi-conducteurs allonge les délais de livraison et décourage les clients
La pénurie de semi-conducteurs a bouleversé les équilibres du secteur automobile mondial. Cette crise technologique a entraîné des délais de livraison importants qui découragent les acheteurs potentiels. Lorsqu'un client doit attendre plusieurs mois pour recevoir son véhicule, il est tenté de reconsidérer sa décision d'achat ou de se tourner vers le marché de l'occasion où les véhicules sont immédiatement disponibles. Cette situation a créé un cercle vicieux où la demande pour le neuf se contracte à mesure que les délais s'allongent.
Les constructeurs ont été contraints de revoir leurs stratégies de production et de distribution. Certains ont même dû arrêter temporairement leurs usines. Stellantis a ainsi annoncé la fermeture temporaire de son usine de Mulhouse du 27 octobre au 2 novembre. Ces interruptions de production reflètent une incapacité à répondre à la demande de manière fluide, ce qui fragilise encore davantage la confiance des consommateurs. Les acheteurs potentiels, confrontés à l'incertitude sur les dates de livraison, préfèrent souvent reporter leur projet d'achat ou explorer d'autres options de mobilité.

Les perturbations des chaînes de production fragilisent l'offre de véhicules neufs
Les perturbations des chaînes de production ont des répercussions profondes sur l'ensemble du secteur. Les constructeurs doivent composer avec des approvisionnements incertains et des coûts de production qui augmentent. Cette instabilité se répercute sur les prix de vente et sur la disponibilité des modèles. Les marques françaises sont particulièrement touchées. Stellantis a enregistré un recul de 10,1 pour cent, avec des baisses dramatiques pour certaines de ses marques comme Fiat qui chute de 48 pour cent et Opel de 37,4 pour cent. Renault perd 7 pour cent avec une baisse de 15,2 pour cent pour la marque éponyme. Même Toyota, réputé pour sa solidité, chute de 25 pour cent.
La production nationale a également souffert de ces bouleversements. La part des voitures Renault et Stellantis produites en France est passée de 22 pour cent en 2019 à seulement 18 pour cent en 2023. Cette délocalisation progressive de la production affaiblit l'industrie automobile française et menace des milliers d'emplois. Les ventes de Citroën ont été divisées par trois entre 2011 et 2024, illustrant une érosion massive de parts de marché. Le secteur est désormais décrit comme étant en grand danger par les observateurs et les acteurs de l'industrie. Les prévisions pour l'année en cours tablent sur des ventes de 1,5 à 1,6 million d'unités, un niveau comparable à celui des années 1960, bien loin des 2,2 millions d'unités qui constituaient la norme avant la crise.
Les nouvelles pratiques de mobilité qui transforment le marché automobile français
L'économie de partage et l'autopartage réduisent la nécessité de propriété individuelle
L'évolution des mentalités joue un rôle majeur dans la transformation du marché automobile. L'essor de l'économie de partage, avec des solutions comme l'autopartage ou la location longue durée, contribue à modifier les habitudes de consommation et à réduire la nécessité de posséder un véhicule personnel. Pour de nombreux citadins, l'accès à un véhicule à la demande suffit amplement et représente une alternative économique et pratique à la propriété. Cette tendance est particulièrement marquée dans les grandes agglomérations où les transports en commun sont développés et où les contraintes de stationnement rendent la possession d'une voiture moins attractive.
Ces nouveaux modèles de consommation remettent en question le paradigme traditionnel de la propriété automobile. Les jeunes générations, en particulier, sont moins attachées à l'idée de posséder une voiture et privilégient la flexibilité et la praticité. Les services de mobilité partagée offrent une réponse adaptée à ces attentes, ce qui explique leur succès croissant. Pour les concessionnaires, cette évolution représente un défi supplémentaire car elle érode structurellement la demande de véhicules neufs et remet en cause leur modèle économique traditionnel.
Le marché de l'occasion et les mobilités douces attirent une clientèle croissante
Le marché de l'occasion connaît un dynamisme sans précédent. Face à la hausse des prix du neuf et à la baisse du pouvoir d'achat, de plus en plus de Français se tournent vers les véhicules d'occasion. Cette tendance est renforcée par l'amélioration de la qualité et de la fiabilité des voitures, qui permettent une utilisation prolongée. Cependant, ce marché connaît également des tensions. Le phénomène des buy-backs des véhicules électriques et les délais de rotation élevés enrayent partiellement le marché de l'occasion, créant des déséquilibres entre l'offre et la demande.
Parallèlement, les mobilités douces gagnent du terrain. Le vélo, la trottinette électrique et d'autres moyens de transport alternatifs séduisent une clientèle urbaine soucieuse de l'environnement et de son budget. Ces options de mobilité, autrefois marginales, deviennent de véritables alternatives à la voiture individuelle pour les trajets quotidiens. Cette diversification des modes de transport réduit encore la nécessité d'acheter une voiture neuve, en particulier pour les ménages disposant de plusieurs options de mobilité.
Face à cette crise multifactorielle, les concessionnaires tentent de diversifier leurs activités pour compenser l'érosion des marges et les pertes de parts de marché. Les stratégies incluent le gel des investissements, la consolidation, la diversification vers les deux-roues et l'agriculture. Le développement du canal BtoB et des produits périphériques comme le financement, la garantie et l'entretien devient prioritaire. L'après-vente, incluant le pneumatique, la carrosserie et le vitrage, représente désormais un centre de profit stratégique pour couvrir les coûts fixes. Le multi-marquisme se généralise pour attirer une clientèle plus large. Certains investisseurs, constatant la dégradation de la rentabilité du secteur, choisissent même de se retirer du marché de la distribution automobile. Le marché automobile français se trouve ainsi à un tournant critique de son histoire, contraint de réinventer ses modèles économiques pour s'adapter à un environnement profondément transformé.



















